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Conair an Bhaird - The Bard's Path
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9 décembre 2013

Waldottir

(cet article dort dans mes brouillons depuis plusieurs mois, il était temps que je le tire par les pieds) (non mais) (je vous préviens, c'est décousu)

 

ce serait un beau poster
 (Ceci est un bébé fougère) (Comme quoi TOUS les bébés, même végétaux, sont mignons-trop-awww)

S'il y a une chose à savoir chez moi, c'est que la forêt, c'est un peu ma première maison (pas ma deuxième, hein, ma première). Mon père, féru d'arbres, de feuilles mortes et surtout de champignons à se mettre sous la dent, m'y a emmenée dès ma plus tendre enfance (je ne savais même pas encore marcher les premières fois), et m'a donc, depuis toute petite, enseigné tout ce qu'il savait sur ce monde si particulier qu'est la sylve arborée.

Il m'a appris à reconnaître les arbres, à leurs feuilles, à leur écorce, à leur taille, à leurs fruits, à leur voix, aussi, quand le vent joue dans leurs branches. Il m'a appris à repérer un chapeau de cèpe planqué sous les feuilles mortes, à identifier les cousins des cousines du mycélium du voisin de gauche, à couper le pied proprement, pour ne pas endommager le réseau souterrain, à disposer mes trouvailles dans un panier tressé, pour que les spores puissent se répandre au gré de mes pas, et fertiliser l'humus. Il m'a appris à sauter les fossés (j'ai pas mal de gamelles à mon actif, d'ailleurs) (ça le faisait beaucoup rire, le fourbe), à passer sous les branches, à quitter les chemins, à enjamber les terriers. Il m'a appris à voir les traces de pas du renard dans la gadoue, les coups de groin du sanglier dans la terre humide, les raclures faites par les bois des cerfs sur l'écorce des jeunes arbres. Il m'a appris à faire des étincelles avec des silex blancs, des sifflets avec des brins d'herbe. Il m'a appris à ouvrir et fermer un couteau-suisse, à le nettoyer, à le lancer sans me blesser. Il m'a appris à faire face aux sangliers solitaires, aux chevreuils, aux cerfs, aux serpents, et aux pires de tous, les chasseurs en vestes kaki. Il m'a appris à attraper des rainettes, des salamandres, à reconnaître le bruit d'un lucane mâchant du bois, le chant des oiseaux dans les branches, le vol de la buse au-dessus des frondaisons. J'avais douze ans quand il m'a offert ma première hache, pour récolter du lierre sur les arbres moribonds. Ça rendait ma pauvre mère folle. 

la forêt

Adolescente, victime d'une arachnophobie démente, j'ai espacé mes séjours forestiers. Mais le manque était trop fort, cet éloignement n'a pas duré. D'ailleurs la forêt m'a aidée à vaincre un certain nombre de mes phobies, et à en juguler d'autres. 

Quand je suis au plus mal, il n'y a que là que je me sens bien. Dans le silence des arbres et le froissement des feuilles. Je m'y sens en sécurité, à l'abri, comme dans un doux cocon accueillant. Chez moi. Parfois même, quand je suis en voiture et que je traverse une forêt, je suis prise de l'envie irrépressible de m'y arrêter et d'abandonner mon tas de ferraille pour aller me pelotonner au pied d'un arbre et y rester jusqu'à la fin des temps. Il n'y a pas de plus belle embrassade que celle d'un tronc rugueux aux branches tendues vers toi comme les bras ouverts d'une mère aimante.

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(la preuve) (oui, c'est moi, j'étais brune-corbeau à l'époque)

Je suis définitivement une sorcière de la forêt (du genre de celles qui vivent dans une cabane dans les arbres et font des sourires assassins à tous les malheureux qui croisent leur route dans les contes de fées). Déjà pour toutes les raisons citées précédemment (fallait suivre, hein), mais aussi et surtout parce que la forêt est mon chez-moi sorcelleux depuis bien longtemps déjà. Elle m'offre tout ce dont j'ai besoin pour mes tambouilles secrètes : abri, retrait, quiétude, mais aussi ingrédients, supports, et esprits alliés. J'y trouve l'immense majorité de ce que j'utilise quotidiennement, plantes, bois, terre, pierres, os, champignons, écorces, fruits, feuilles ... Et les esprits avec lesquels je communique, l'essence du divin (les essences, même, la forêt est tellement plurielle) y sont présents en permanence. 

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(Jeune amanite panthère. Un esprit particulièrement intéressant)

Quand je pratique en forêt, c'est elle qui trace mon Cercle, elle qui place les Éléments, et souvent en se foutant royalement des points cardinaux. Elle me fournit autel et sanctuaire. Ingrédients et outils. Dieux et Déesses. Et souvent de quoi m'ancrer après (mûres mes amies, fraises des bois mes chéries, noisettes mes mignonnes ...). C'est en forêt que je ressens le plus le Divin, que je m'en sens la plus proche, accueillie, écoutée, entendue. De là à dire que c'est mon église, il n'y a qu'un pas que je veux bien franchir. Mais c'est aussi mon supermarché, d'où je reviens toujours avec un panier débordant de trésors sylvestres, la tête plus légère de quelques cheveux, les doigts piquetés de perles de sang donné. 

En forêt plus qu'ailleurs, j'aime travailler avec les esprits des êtres vivants.

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Ceux des arbres sont les plus "abordables", dans la mesure où ils règnent en maîtres (logique, sans arbre, pas de forêt, ça tombe sous le sens), n'ont pas la possibilité de se barrer en courant à votre approche (ou alors c'est le signe que vous devez arrêter les champignons), et sont souvent très vieux, très posés et très sages. Ils sont souvent lents dans leur être, parfois tellement lents qu'ils semblent muets. Mais chacun a sa voix, certains sont mêmes drôles, espiègles, quand d'autres sont mal vissés et bourrus, voire blasés. Mais, curieusement, ils sont toujours ouverts, même si ça parait de mauvaise grâce. Ils donnent facilement, et, souvent, exigent peu en retour (très peu d'arbres m'ont réclamé le prix du sang, alors que beaucoup de plantes le font). Du coup, c'est avec eux que j'ai communié en premier, parce que la communication est presque facile, finalement, et qu'ils sont souvent extrêmement généreux (bon, j'ai connu des exceptions, hein, un vieil If notamment, papy revêche et un brin sur la défensive qu'il a fallu amadouer avec finesse). 

 

 

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Ceux des plantes sont les plus dispersés, souvent moins faciles à saisir, à cerner, plus volatils, en quelque sorte. Et très différents d'une plante à l'autre. Certains sont timides, certains sont calmes, d'autre sont agités, presque agressifs, sur la défensive. J'ai remarqué que plus la plante est petite, plus elle exigera un dédommagement élevé. Mais ça parait logique, au fond. Un grand arbre donnera une de ses ramilles comme on donnerait une rognure d'ongle, elle représente tellement peu par rapport à son ensemble que c'est une petite égratignure qui ne le lèse pas vraiment. Mais une toute petite plante dont on coupe une tige nous donne l'équivalent de son bras entier. Normal donc qu'elle exige un sacrifice à la hauteur (je ne parle pas de sacrifice animal, hein, mais de don de soi). 

 

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Ceux des champignons sont les plus espiègles, les plus retors, aussi, parfois, les plus trompeurs. Les maîtres des énigmes, les plus sorciers d'entre tous, sans doute. Ce sont aussi les plus grands, plus étendus que les arbres (le "corps" du champignon, le mycélium, parcours parfois plusieurs kilomètres sous terre) mais, comme ils sont cachés, dissimulés, se sont aussi les plus discrets. Ils parlent de ce qui est enfoui sous l'humus, de ce qui est caché, occulte, ils enseignent une sagesse ancienne si profondément ancrée dans les racines tortueuses qu'elle en est difficile d'accès. Ils demandent extrêmement peu, souvent rien, en échange de leurs dons, c'est quelque chose qui m'a toujours surprise. Ils me rappellent un peu les elfes domestiques, qui abandonnent leur maison, vexée, quand les humains leur offrent des vêtements neuf pour les remercier de leurs bienfaits. Les champignons sont un peu comme ça, sans doute parce qu'ils ont un lien profond avec le Petit Peuple. 

 

 

scarabée

Ceux des animaux sont difficiles à aborder, puisque leurs représentants sont très discrets et souvent effrayés par l'Homme (et c'est bien normal). Mais les nombreuses traces de vie qu'ils laissent dans les bois permettent d'entrer tout de même en communion avec eux (mais c'est plus difficile, il faut savoir les repérer, les identifier, pour pouvoir les "utiliser" à bon escient) (et il est moins facile de "toucher" l'esprit d'un animal avec une trace de pas que de se lier à l'esprit d'un arbre directement avec l'arbre en question !) (c'est pas clair, ce que je dis, mais je me comprends). Leurs dons, évidemment, sont très aléatoires et rares. On trouve parfois une mue de serpent, des poils de renard, des plumes d'oiseaux forestiers, mais cela reste exceptionnel. Plus rares encore sont les bois de cervidés, les dents perdues, les os. Ce sont des trésors précieux qu'il faut savoir dénicher (et rien ne ressemble plus à un vieux bout de bois mort qu'un bois de cerf ... Donc imaginez comme c'est "facile" d'en trouver sur le sol d'une forêt jonchée de vieilles branches et de feuilles mortes !). Et pourtant leurs esprits sont puissants, riches et forts, ils promettent de grands enseignements (c'est d'ailleurs sans doute pour cette raison qu'ils sont difficiles à aborder, ils se méritent !).

 

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(Bois de chevreuil - trouvés sur un cadavre de jeune chevreuil, tué par un train en bordure de forêt)

 

 

Mais, quand on sait bien chercher, quand on sait être à l'écoute, se faire tout petit dans l'ombre des arbres, oser parfois attendre le crépuscule et s'enfoncer dans les broussailles, bien au-delà des sentiers balisés, on peut faire des rencontres extraordinaires. Je me suis trouvée nez à naseau avec un dix cors, un jour, en ramassant des trompettes (les champignons adoooorent finir en omelette, si si je vous assure). J'avançais presque en rampant, le nez au sol pour ne pas perdre une miette de mon trésor (c'est tellement chiant à dénicher qu'une fois qu'on les tiens, ces petits malins, on ne les lâche plus), et j'ai dû être tellement silencieuse qu'aucun animal ne m'avait repérée. Une drôle de sensation m'a fait lever la tête, et je suis tombée sur la silhouette imposante de ce grand cerf couronné d'andouillers pointus, aux doux yeux bruns brillants. Je ne sais pas lequel de nous deux a été le plus surpris, mais en tous cas nous n'avons pas eu peur, ni lui, ni moi. Il m'a regardée longuement, avec une pointe d'indifférence un brin méprisante, à vrai dire (du genre "peuh, elle est bien ridicule, cette humaine-là"), a tourné les talons et est parti calmement. Mes trompettes et moi ne représentions pas la moindre menace pour lui, après tout. J'ai vu un nombre incalculable de sangliers (mon père avait même chopé un marcassin perdu dans ses bras, une fois, perdant une chasse, mais on l'a revu un peu plus tard avec ses mère et ses frères et soeurs), d'oiseaux, j'ai croisé très souvent des bandes de chevreuils en plein galop, des renards furtifs, des martres perchées dans les arbres à la recherche de nids mal gardés, et même un vieux blaireau boiteux traversant un fossé humide en râlant tout son saoul. 

 

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(Amanites Tue-Mouche - Novembre 2013)

 

Je connais les coins à champignons (que je ne dévoilerais jamais même sous la torture) quand j'ai envie d'une fricassée de tagliatelles aux girolles, ou quand j'ai besoin de matière à sorceller (j'ai un coin d'Amanites Tue-Mouche, notamment, qui ferait pâlir un conte de fées. Je ne dirai jamais où il est, mais mes mollets déchiquetés sont témoins du fait qu'il est bien gardé). Je sais où aller à Imbolc, Beltane, Yule, pour ramener perce-neige, aubépine et houx plein de boules rouges. J'ai appris quand utiliser le fer pour récolter, et quand le ranger, quand cueillir avec la main gauche, quand veiller à ce que certaines plantes ne touchent pas le sol. J'ai encore tant de choses à apprendre, mais la forêt veille à m'enseigner ce que j'ignore encore.

Je suis une Waldottir, une Fille des Bois. 

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Commentaires
R
Très belle article qui me rappel la passion de la nature que mon père m'a transmit et que petit à petit, j'essaye de communiquer aux autres.<br /> <br /> J'adore l'amanite tue-mouche, c'est mon champignon favori pour sa beauté mais aussi pour son lien très fort avec une bonne partie de l'Humanité.<br /> <br /> <br /> <br /> Je me permets de te donner ce lien car je pense qu'il pourrait t'intéresser dans ta pratique: http://grimoirescarnets.canalblog.com/archives/2013/10/01/28123812.html<br /> <br /> <br /> <br /> Il est vrai que la forêt, quand on la connait ne serait-ce qu'un petit peu, est un havre de paix où on se sent chez soi. Il y a toujours à apprendre d'elle et devant les tableaux majestueux qu'elle nous offres, face à la force de ses torrents, à la tranquillité des habitants qui la peuple, au chant du vent dans les hautes branches des arbres qui la boise, elle nous invite à l'une des plus belles habitudes dont on peut faire preuve: l'humilité.
L
Merci infiniment à vous pour ces adorables commentaires qui m'ont fait chaud au coeur (ça tombe bien, il fait si froid dehors ...)<br /> <br /> <br /> <br /> Mlle K --> Je suis tellement d'accord pour les capacités ... Je me souviens d'un jour de grand dèche spirituelle, où je n'arrivais à rien avec mon "oracle à bidules", où j'avais beau le regarder en long, en large et en travers, rien n'avait de sens, tout était flou, es petits objets n'étaient ... que des petits objets dénués de symbolisme. Je suis allée en forêt l'après-midi, et un petit quelque chose m'a dit de tirer de nouveau les bidules. Je l'ai fait à même le sol, sur l'humus humide. C'était le tirage le plus clair de toute ma vie.<br /> <br /> <br /> <br /> Nuno --> Ah ah ^^ C'était le but, je suis une sale pro-sylve dont le but secret et confidentiel est d'amener tous les gens bien pensants dans la forêt !<br /> <br /> <br /> <br /> Aegiale --> Mille mercis ! C'est vrai qu'"apprendre" la forêt dans un livre, c'est difficile (pourtant, techniquement, le livre en est issu ... Pas de bouquin sans forêt ^^), mais rien ne t'empêche d'être la première de ta lignée, d'en apprendre beaucoup par toi-même, sur le terrain, pour le transmettre à ton tour ;)
A
Encore un magnifique partage... de tes écrits, c'est ceux dans lesquels tu parles de la Forêt qui me touchent le plus, qui me fascinent le plus, moi qui m'y sens comme une étrangère curieuse mais ayant tout à découvrir... <br /> <br /> La petite fille en moi rêve d'un grand-père ou d'une grande-soeur qui me transmettrait ses connaissances de la Forêt et de ses habitants (comme je l'écrivais il y a peu, par livre interposé, j'ai vraiment du mal).<br /> <br /> En tous cas, merci pour ce billet qui me fait rêver...
N
Superbe ! Tu m'as réconcilié avec la Forêt. Maintenant je brule d'envie d'y aller *3*
M
J'ai adoré cet article. J'aurais pu l'ecrire mon papy m'a tout appris de la foret. Je me reconnais tellement dans tes ecris, il n'y a que dans une foret ou je suis bien ou je suis moi.<br /> <br /> Je dirais meme que mes capacités ne se revelent vraiment que dans une foret, ...
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